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Nous discutons avec plusieurs jeunes Tunisiens émigrés tels que Taos (fille de Kaïs, le polytechnicien) ou Sofiène (fils de Leïla et Zoubeir), ainsi qu'avec leurs parents, de l'avenir que la Tunisie offre à ses jeunes.
Nous avons là affaire à des enfants de la bourgeoisie qui après des études supérieures en Tunisie ont pu partir en France, en Allemagne ou au Canada acquérir des diplômes de 3ème cycle qui leur ouvrent les portes d'une carrière internationale. C'est une minorité.
Taos est diplômée de l'ESCP et a accumulé plusieurs expériences dans le financement de projets. Le fils aîné de Zoubeir, après des études de mathématiques poussées à l'Université, travaille chez Pictet à Genève ; son épouse est rentrée chez Total après un cycle à l'IFP. Sofiène achève ses études d'ingénieur en Allemagne, où son père l'a envoyé alors qu'il ne parlait pas un mot d'allemand, dans le domaine des équipements de production d'électricité.
Tous ces jeunes Tunisiens ont parfaitement réussi et pour certains se sont établis dans un pays européen. Aucun ne projette de revenir immédiatement en Tunisie, s'il y a un retour un jour.
Kaïs explique que la Tunisie n'offre plus de perspectives de carrière suffisantes pour les jeunes diplômés. La Tunisie n'a plus la même croissance qu'avant et n'a pu développer de grandes entreprises, sauf dans le secteur public.
Les autorités politiques se méfiaient en effet de l 'émergence d'une caste d'entrepreneurs trop riches et indépendants, et se sont débrouillées pour entraver le développement des groupes les plus dynamiques. Le modèle de développement longtemps para-socialiste de la Tunisie ne laissait de toute façon pas énormément de place à l'initiative privée. Quand la Tunisie a connu des problèmes avec sa dette, le FMI a imposé une libéralisation de l'économie qui s'est notamment traduite par la suppression des quelques programmes de financement des entrepreneurs qui s'étaient malgré tout mis en place.
Selon Kaïs, la suppression des taxes à l'importation et à l'exportation imposé par l'Europe dans le cadre des échanges commerciaux nord-sud aurait asséché une partie des ressources de l'Etat, dont le financement repose essentiellement sur la fiscalité indirecte. Sa capacité à lancer de grands projets est donc fortement affaiblie.
Bref il y a beaucoup moins d'opportunités qu'avant, même pour des jeunes disposant de diplômes aussi prestigieux que Kaïs ou ses enfants.
Sa fille Taos complète en parlant de son aversion pour la corruption : travailler pour ou avec l'Etat implique d'arroser ceux qui le demandent, ou alors d'avoir le goût du placard. Ce n'est pas motivant.
Les compétences acquises par tous ces jeunes brillants et dynamiques ne profiteront donc pas à leur pays, du moins tout de suite. On peut comprendre de toute façon qu'ils souhaitent se construire une solide expérience avant de revenir plus tard, peut être, avec des capitaux et des projets.
Si beaucoup d'entre eux finissent leurs études en France, notre pays ne profite pas non plus de leurs compétences. Les immigrés même hyper-qualifiés y sont en effet victimes de discrimination (nous avons pu le constater avec Mariem et Hamza, qui ont eu d'immenses difficultés à y trouver des stages). Et la France n'a pas une image attractive, c'est le moins que l'on puisse dire. Entre nos réflexes post-coloniaux, nos 30 années de crise économique, l'illisibilité de nos réformes et la montée du Front National, nous ne sommes absolument pas un modèle à suivre.
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