Une tante de Mariem, Leïla, est venue nous chercher à l'aéroport, malgré nos protestations. La famille souhaite en effet s'assurer que tout se passe bien, et nous aurons beau tenter de les décourager, leur rappeler le peu de temps dont ils disposent avec le mariage à préparer, il n'y aura rien à faire : c'est leur sens de l'hospitalité.
Après l'achat de cartes SIM locales et la location d'un véhicule, Leïla nous conduit donc chez elle afin que nous nous rafraichissions avant de partir pour Sousse.
Elle et son mari occupent une belle villa à 10 minutes de l'aéroport. Elle nous propose des sirops et quelques délicieux gâteaux, et nous parlons de la Situation politique.
Leïla est professeur d'économie et militante du droit des femmes. Bientôt à la retraite, comme son mari ingénieur, elle fait beaucoup plus jeune et a un beau visage. Elle est très vive et parle français avec beaucoup d'aisance.
Elle nous explique que les précautions de la famille s'expliquent par l'atmosphère post-révolutionnaire. En abattant le régime de Ben Ali, les manifestants ont aussi fait tomber beaucoup de barrières morales, notamment sur le plan économique, et les Tunisiens auraient perdu en honnêteté ce qu'ils ont gagné en liberté. Je suggère que ceci est peut être dû au blocage de l'économie entraîné par les changements politiques, Leïla acquiesce mais dit que le mal est plus profond. Les Tunisiens n'hésitent plus à s'escroquer entre eux.
Je me demande un moment si Leïla n'est pas nostalgique de l'ancien régime, mais en fait pas du tout. Elle décrit l'enthousiasme et le bonheur des gens dans les rues de Tunis après le 14 janvier 2011 et jusqu'aux élections, cette atmosphère de solidarité incroyable qui enchantait la population libérée de l'emprise du dictateur, mais dit que tout cela a laissé place à une grande déception.
En effet, les Tunisiens ne voient pas de changement concret pour eux dans leur vie de tous les jours. Le chômage reste très élevé, notamment chez les jeunes. Surtout Ennahda aurait déçu pendant ses 3 années de pouvoir, se montrant aussi corrompu que le régime de Ben Ali. Le gouvernement de techniciens qui lui a succédé en janvier 2014, peu avant le vote de la nouvelle constitution, n'aurait pas brillé.
Il y a donc beaucoup de déçus, et les élections de fin d'année laissent craindre une abstention élevée : très peu d'électeurs se sont inscrits sur les listes, ce qui contraste avec la ferveur de 2011. Heureusement, les salafistes étant contre la démocratie, puisque seul Allah a le pouvoir d'émettre des lois, les propagateurs du wahhabisme saoudien ne profiteront peut-être pas de cette désaffection.
Leïla s'inquiète et espère que les acquis de la nouvelle constitution pour les femmes, pour lesquels elle a manifesté chaque fois que nécessaire, et notamment lors du débat entre égalité et complémentarité, se pérenniseront malgré ces incertitudes.
Leïla dit que les Tunisiens sont très forts pour critiquer, mais pas pour inventer et construire. Je lui réponds que cela fait un point commun entre nos deux peuples.
Elle est en tout cas une représentante assez admirable des forces démocratiques tunisiennes, et nous la quittons ravis de ce premier contact, après qu'elle nous a mis sur la direction de Sousse.
<< >>
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire